Publié le : 30/09/22 10:47 AM
L’endettement a de tous temps et incontestablement joué un rôle important dans le processus de développement d’un Etat. Car l’État, sous ses différentes formes plus ou moins primitives, a ou presque toujours eu des besoins supérieurs à ses recettes propres. La dette publique constitue donc l’ensemble des engagements financiers pris sous forme d’emprunts par les administrations publiques. Elle a trois caractéristiques : elle doit être publique c’est-à-dire, ne pas apparaître comme personnelle, comme l’engagement d’une personne, mais de la collectivité dans son ensemble; elle doit s’inscrire dans la continuité : la dette publique n’existe qu’à partir du moment où les engagements pris par un gouvernement donné sont par principe respectés par les gouvernements suivants ; enfin, elle doit être connue : la notion de dette publique ne trouve en effet un certain achèvement que dans la mesure où elle acquiert une relative stabilité et unité. Cela suppose qu’elle soit bien identifiée et maitrisée.
La dette publique est connue sous deux formes : la dette publique extérieure c’est-à-dire l’ensemble des dettes qui sont dues par l’État à des prêteurs étrangers et la dette publique intérieure qui représente l’ensemble des créances détenues par les agents économiques résidents de l’État.
La question de la dette publique, de sa gestion, de son utilisation, de sa réduction, de la fixation d’un seuil au-delà duquel elle deviendrait intolérable, constitue l’une des préoccupations majeures de la gestion budgétaire. Car c’est dans le fonctionnement budgétaire que la dette est générée, celle-ci étant le résultat des déficits budgétaires successifs accumulés par l’Etat.
En effet, la dette nait dans la loi de finances de chaque année et se rembourse également à travers elle. Au fil des ans, le service de la dette prend une part de plus en plus importante dans le montant du budget annuel. Au Cameroun aujourd’hui, le service de la dette est de 27% du budget annuel de l’Etat, soit plus du quart de celui-ci. Ceci veut dire que l’Etat utilise le quart de ses ressources pour rembourser ses dettes. Bien que cette dette soit, comme on le verra plus tard, soutenable, il convient toutefois, de mettre en place une stratégie budgétaire pour veiller à ce que la soutenabilité dont elle jouit actuellement perdure.
Aussi, pour comprendre les stratégies budgétaires mises en place pour gérer la question de l’endettement, il est important de connaitre d’abord son stock.
Au Cameroun, l’on constate qu’elle a connu une progression constante au fil des années. En effet, son encours total est passé de 260,3 millions de dollars en 1971 à 1,5 milliards de dollars en 1980 et 2,6 milliards de dollars en 1981, représentant ainsi environ 10 fois le volume des dettes de l’année 1971.
Mais comparativement aux pays de même niveau de développement, cette accélération de la dette extérieure reste modérée et traduit la prudence de la politique économique du Cameroun à faire de l’endettement extérieur, un élément déterminant du financement de son développement.
Si jusqu’au début des années 80, le Cameroun a toujours pratiqué une politique prudente d’endettement extérieur, il faut reconnaitre qu’au milieu des mêmes années, la situation de la dette s’est profondément modifiée, en raison des difficultés de trésorerie face aux besoins grandissants, qui ont astreint l’Etat à recourir aux sources de financement extérieurs, en l’occurrence aux crédits des banques commerciales, consentis généralement aux conditions du marché́. L’encours total de la dette extérieure s’est ainsi accru, passant de 2,2 milliards de dollars en 1985 à 4,6 milliards en 1990 et 6,5 milliards en 1992, soit un taux de progression d’environ 46 %.
Entre 1993 et 1998, cet encours a continué́ à croitre très fortement, passant de 6,9 milliards de dollars en 1993 à 7,4 milliards en 1997, pour se chiffrer à 7,8 milliards de dollars en 1999. Cette croissance a été́ très significative à partir de 1994 suite à la dévaluation du franc CFA par rapport au franc français, la quasi-totalité́ des prêts étant libellés en devises.
L’accroissement de l’encours de la dette extérieure à partir de 1993 s’explique également par les effets conjugués des nouveaux engagements de l’Etat et des retards de paiement envers certains créanciers, notamment les pays non participants au Club de Paris et ceux du Club de Londres.
Le 1er mai 2006, le Cameron est devenu le 15e pays membre régional à atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE renforcée. De ce fait, les Conseils d’administration du FMI et de la Banque mondiale ont approuvé́ en sa faveur un allègement de dette d’environ 1,27 milliard de dollars en fin 1999, équivalent à une réduction de 27 % de sa dette. Ainsi, à fin 2006, le stock nominal de la dette extérieure du Cameroun s’établissait à 6,2 milliards de dollars, contre 7,8 milliards à fin 1999.
A date (2021), l’encours de la dette publique extérieure est de 14,2 milliards de dollars, (7 103 127 000 000 FCFA), soit une progression de 100% en 20 ans.
La dette publique intérieure du Cameroun est composée de la dette structurée, la dette non structurée et la dette flottante. La dette structurée est celle ayant fait l’objet des conventions entre les créanciers et l’Etat. La dette non structurée quant à elle est constituée principalement des arriérés constatés à une date donnée au niveau du Ministère des Finances.
La dette flottante quant à elle est une dette dont le montant n’est pas connu à ce jour et qui représente les effets gel de salaires, les indemnisations, les dommages et intérêts, la dette commerciale, la dette générée par la politique des prix administrés (dette des marqueteurs).
Durant la période de mauvaise conjoncture économique, le gouvernement camerounais a accumulé d’importants arriérés envers le secteur privé, les salariés de l’Etat, les banques commerciales, la Banque des Etats de l’Afrique Centrale. L’encours élevé́ de cette dette a eu des effets néfastes sur la situation financière des entreprises et a compromis les investissements.
Au 30 juin 1999, cette dette s’élevait à 1 250 milliards de francs CFA.
Au 30 septembre 2020, la dette intérieure est évaluée à 2 600 milliards de Franc CFA compte non tenu de la dette flottante.
Au total, la dette publique de l’Etat du Cameroun se chiffre à date à 9 717 milliards de FCFA, représente 43,6% du PIB, et est composé de : (i) 73,1% de dette extérieure, (ii) 26,6% de dette intérieure et (iii) 0,3% de dette avalisée par l’Etat.
Au regard de ce qui précède, on peut affirmer que la dette du Cameroun est soutenable dans le moyen terme (car n’atteint pas le seuil 70% du PIB des critères de convergence de la CEMAC). Toutefois, il importe de souligner que pour qu’elle soit soutenable durablement il faut s’assurer d’en maitriser tous les aspects, ce qui n’est pas encore le cas pour la dette flottante, de l’utiliser à bon escient et d’assurer le remboursement régulier.
L’endettement étant généré au travers du budget, sa maitrise incomplète ou insuffisante peut avoir des conséquences fâcheuses sur le budget.
Le service de la dette représente le remboursement de la dette que l’Etat effectue au cours d’une année, en fonction des échéances connues. Au fil des ans, ce service est de plus en plus important, et si la dette est mal maîtrisée, il pourrait croitre davantage. Quelques données comparatives du service de la dette :
Année | Service de la dette | Budget annuel | % |
1984 | 67,9 milliards | 620 milliards | 10% |
1986 | 107 milliards | 800 milliards | 13% |
1990 | 100 milliards | 579 milliards | 17% |
2000 | 415 milliards | 1 297 milliards | 31% |
2006 | 415 milliards | 1 721 milliards | 24% |
2007 | 605 milliards | 2 251 milliards | 26% |
2010 | 307 milliards | 2 750 milliards | 11% |
2015 | 302 milliards | 3 312 milliards | 9% |
2017 | 726 milliards | 4 373 milliards | 16% |
2018 | 1027 milliards | 4 513 milliards | 22% |
2020 | 913 milliards | 4 409 milliards | 20% |
2021 Initial 2021 ORD | 982 milliards 1392 milliards | 4 670 milliards 5 235 milliards | 21% 27% |
2022 Initial 2022 ORD |
L’on constate que le service de la dette va croissant depuis les indépendances jusqu’en 2000 où il explose littéralement. Il commence à baisser en 2010, grâce aux effets de l’atteinte par le Cameroun en 2006 du point d’achèvement de l’initiative PPTE. Mais à partir de 2017, l’on observe une remontée des taux qui se poursuit jusqu’aujourd’hui. Si l’on n’y prend garde, on pourrait se retrouver dans la même situation qu’avant le point d’achèvement. Malheureusement, dans le cadre des discussions avec les bailleurs de fonds, aucune remise de dette n’est envisagée pour le moment.
Qu’elle soit intérieure ou extérieure, structurée ou non, le remboursement de la dette doit être inscrit dans le budget. En effet le service de la dette de chaque exercice budgétaire doit être connu et budgétisé. Si la dette n’est pas connue, ses échéances de remboursement ne seront pas non plus connues et l’Etat pourrait faire un défaut de remboursement et accumuler des arriérés.
La mauvaise connaissance de toutes les natures de dette notamment de la dette flottante a pour conséquence que celle-ci est parfois remboursée alors même qu’elle n’était pas prévue par le budget. Les divers paiements effectués pour le règlement de cette dette non auditée le sont généralement au détriment des dépenses de l’année, ce qui a pour effet immédiat de creuser le déficit de l’année. Bien qu’étant dues au regard des pièces justificatives présentées, ces dépenses non prévues ne devraient pas être payées sans avoir été inscrites dans le budget.
D’une part, l’endettement public peut entraîner un effet d’éviction de l’endettement privé. Le recours plus important de l’État aux marchés de capitaux est susceptible de provoquer une augmentation des taux d’intérêt qui rend plus coûteuse l’accumulation du capital public. Il doit en résulter une réduction de la productivité et de la croissance potentielle de l’économie.
D’autre part, l’augmentation du poids du service de la dette implique un accroissement des dépenses publiques et donc des impôts. C’est là une source possible, capable d’induire une mauvaise allocation de ressources, de désinciter à produire et à investir, et donc de peser sur la croissance. Si, de plus, cette dette est financée par recours à des investisseurs extérieurs, elle donnera lieu à une ponction sur le revenu national ;
Enfin, une dette publique trop élevée peut limiter les marges de manœuvre de politique économique dans le futur. Il est en effet plus difficile de mener une politique budgétaire contra-cyclique lorsque le poids de l’endettement public est élevé. Si donc une nouvelle récession venait affecter les économies développées dans les années à venir, leur capacité de réaction serait très amoindrie.
Comme indiqué plus haut, la dette est l’accumulation des déficits successifs. Alors, pour maitriser la dette, il est impérieux pour l’Etat de de surveiller son déficit chaque année. C’est la raison pour laquelle, l’un des critères de convergence que la CEMAC suit particulièrement est le niveau de déficit (ou solde de référence CEMAC) de chaque année. Et il ne doit pas être supérieur à 1,5% du PIB.
Afin de faciliter le suivi de ce critère, la loi portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques du 11 juillet 2018 prescrit une meilleure présentation du déficit budgétaire dans la loi des finances. L’une des conséquences du caractère public de la dette est qu’elle doit émaner de la communauté et non d’un individu. Le Parlement étant le représentant de la communauté, du peuple, il est normal qu’il ait la pleine connaissance du déficit qui lui est soumis par le gouvernement chaque année, ainsi que le besoin d’endettement qui en découle, l’objectif étant d’engager la Nation et de rassurer les prêteurs sur la pérennité de leur prêt.
Ainsi, dans l’optique d’assurer une présentation du budget qui fasse ressortir clairement les prévisions de recettes et de dépenses ainsi que des capacités ou besoin de financement de l’Etat, la loi a différencié les recettes et dépenses budgétaires des ressources et charges de trésorerie. Ainsi, rentrent dans la catégorie des opérations de trésorerie, les opérations liées à la gestion de la dette qui sont l’accessoire de son émission, de son rachat ou de son remboursement ainsi que l’encaissement des produits de cessions d’actif.
Concernant le niveau de déficit proprement de 1,5% du PIB, il s’agit d’un objectif à moyen terme dont l’atteinte est progressive.
En 2018, le budget a été voté avec un déficit 2,6% du PIB, induisant ainsi un besoin de financement budgétaire de 532,7 milliards. En fin d’exercice, ce déficit se situait à 2,5% du PIB, soit une bonne performance.
En 2019, le budget de l’exercice 2019 a été voté avec un solde de référence CEMAC projeté à -1,5% du PIB, induisant ainsi un besoin de financement budgétaire de 345,4 milliards. Malheureusement, compte tenu des différentes crises qu’a connu le Cameroun au cours de cette année, à savoir, l’impact de l’incendie de la SONARA et la crise sécuritaire dans les frontières Est et Nord du pays ainsi dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, en fin d’exercice, ce solde s’est situé à -3,5% du PIB.
En 2020, au regard de la remontée des prix du baril du pétrole, le solde budgétaire CEMAC projeté en loi de finances était de -2,2%. Mais la survenance de la pandémie a contraint les pouvoirs publics par ordonnance à le situer plutôt à -3,9.
En 2021, le solde de référence CEMAC, initialement projeté -2.8% du PIB est passé à – 3,5% du PIB en loi de finances rectificative.
Si la dette extérieure est bien connue et ses échéances de remboursement assez maitrisée, il n’en est pas de même de la dette intérieure dont une grande partie notamment la dette flottante est méconnue.
Etant donné que la dette flottante, compte tenu de sa diversité, pourrait représenter une part non négligeable de la dette publique totale du Cameroun, son traitement devient urgent, afin d’éviter que sa charge n’obère dangereusement les ressources de l’Etat dans un proche avenir. Afin de mieux la maitriser et pouvoir inscrire son remboursement dans les lois de finances successives, les pouvoirs publics ont engagé depuis 2019 un vaste audit de cette dette flottante, due au 31 décembre 2019. En effet, depuis le 1er décembre 2019 et ce jusqu’au 5 mars 2021, les Ministres, les recteurs d’universités, les Directeurs Généraux des établissements publics ainsi que des Maires doivent recenser toutes les créances relevant de leurs structures et les transmettre à la Direction générale du Budget. Cette opération vise à résorber cette spirale d’endettement qui constitue un risque certain pour la stabilité des finances publiques et dans le souci majeur de crédibiliser davantage la signature de l’Etat. Au terme de cette opération, l’Etat veut organiser l’apurement de ladite dette. Plusieurs options sont déjà envisageables. Vu le contexte difficile, l’apurement pourrait se faire à travers soit la titrisation, soit la cession ou vente aux banques, soit la décote.
Dans tous les cas, il est question d’amener les entités génératrices de la dette flottante à voter des budget réalistes et sincères, mais surtout équilibrés. Leurs budgets ne doivent pas être générateurs d’une dette dont le responsable final devra être l’Etat.
La dette publique du Cameroun reste viable au regard de son encours global et de son rapport au PIB, si l’on s’en tient au taux fixé par les directives CEMAC. Cependant le risque de perdre cette viabilité est grand si le produit de la dette n’est pas affecté à des dépenses de qualité à savoir des projets d’investissement susceptibles d’avoir un impact sur la croissance.
L’adoption de la SND30 devrait contribuer à mieux préciser les axes d’investissement vers lesquels l’Etat souhaiterait s’orienter, et ainsi mieux guider les acteurs en charge de l’endettement public.
La mise en place définitive du compte unique du trésor et l’adhésion de tous les démembrements de l’Etat à son fonctionnement devrait faciliter la prise de conscience sur les conséquences d’un endettement anarchique.
Comme indiqué plus haut, la dette flottante concerne l’ensemble des administrations publiques. Si ces administrations publiques ont conscience de ce que la charge de leur dette pèse sur la trésorerie de l’Etat, et est susceptible de réduire considérablement le niveau de subventions à eux accordé, cet endettement pourrait baisser. L’Etat s’est donc engagé dans un processus de normalisation de son compte unique et de sensibilisation des différents acteurs concernés par sa mise en place et son fonctionnement.
Afin de s’assurer d’une gestion à plein temps de la dette publique, l’Etat a créé un organisme dédié, en l’occurrence la Caisse Autonome d’Amortissement qui a pour seul et unique rôle de gérer la dette de l’Etat. Cette initiative a pour but de donner aux prêteurs tant nationaux qu’internationaux une assurance raisonnable sur le caractère organisé et professionnel du traitement de la dette et des questions connexes.
La mise en place de cet organisme et son fonctionnement depuis a permis de mieux structurer la dette extérieure, d’assurer les décaissements et de veiller à son remboursement suivant les échéances arrêtées. Elle a également permis de procéder à la structuration d’une bonne partie de la dette intérieure. Il est juste question de la conforter dans son mandat et de renforcer ses relations avec les différentes parties prenantes au remboursement de la dette à savoir la Direction générale du Trésor et la Direction Générale du Budget.
Le comité National de la dette publique a été mis en place en vue coordonner, suivre la mise en œuvre de la politique nation d’endettement public et de gestion de la dette publique, veiller à sa mise en cohérence avec les objectifs de développement et la capacité de l’Etat. Il émet à ce titre un avis motivé sur les requêtes et les offres des financements intéressant l’Etat ou ses démembrements ainsi que sur les emprunts publics extérieurs ou les emprunts privés garantis par l’Etat.
Ainsi, toutes les administrations publiques, Etat, Entreprises et Etablissements publics et Collectivités territoriales décentralisées ont l’obligation, avant de contracter une dette, de soumettre le dossier y afférent au CNDP pour avis.
Un effort de sensibilisation de toutes les administrations publiques et des potentiels prêteurs sur l’existence et le rôle de cet organe est nécessaire car son avis a vocation à rassurer les parties et plus précisément le prêteur sur la viabilité de son prêt et le respect des échéances de remboursement.
Au terme de cette analyse, il ressort que la dette de l’Etat du Cameroun, du moins, celle déjà connue, est soutenable au regard des taux de convergence sous régionaux et même internationaux. Cependant, il est impérieux d’une part d’auditer la dette flottante pour s’assurer d’une connaissance totale de la dette publique et d’autre part de veiller à son apurement progressif au même titre que les autres types de dettes, extérieure et intérieure structurée. Par ailleurs, le maintien de la soutenabilité de la dette publique passe par la mise en place et le fonctionnement adéquat de certains outils mis en place par le Gouvernement.